OLYMPE RACANA-WEILER

Richard Leydier, “Olympe Racana-Weiler”

Artpress, 496,

Février 2022, p. 6-9

Dans le domaine dit de la peinture abstraite, les toiles d’Olympe Racana-Weiler sont particulièrement séduisantes et puissamment évocatrices. Elle expose à la galerie 21 Contemporary, Nice, du 17 février au 15 avril 2022. 

Il y a quatre ans, je suis allé visiter l’atelier d’Olympe Racana-Weiler alors situé à Saint-Ouen. Elle commençait à exposer à la galerie Jérôme Pauchant, et était lauréate des prix Pierre Cardin et Marin. La dernière exposition personnelle visitée se tenait à la galerie d’Éric Dupont (en janvier 2021), qui la représente depuis 2019. 

Elle m’invite dans son nouvel atelier, cette fois-ci à Montreuil. Un espace plus grand et grandement vitré. [...] Les compositions sont encore baroques, animées d’une exubérance qui pourrait évoquer certaines oeuvres de Frank Stella à partir des années 1970. [...] La ligne a fait son apparition. Suivant des diagonales un peu folles, elle parcourt les toiles comme des veines, et les tableaux deviennent une peau ainsi irriguée, qui a son histoire et ses accidents, parfois écorchée à la manière du satyre Marsyas, puni par un Apollon jaloux de ses dons musicaux. Ou bien, plus que des veines, elles sont des lignes de vie dans la paume d’une main, racontant le passé et le futur d’un corps (celui du spectateur) qui semble de plus en plus présent. Olympe Racana-Weiler a des origines françaises et argentines. Elle a beaucoup exploré l’Amérique latine mais aussi l’île de Cuba. C’est pourquoi, ces lignes, ce sont aussi les lianes chaotiques des forêts tropicales, qui les rendent impénétrables, impraticables. Des branches sur lesquelles viennent se poser des oiseaux de paradis. Elles symbolisent une sauvagerie indomptable et néanmoins belle, un impensé. 

Racana-Weiler étend les toiles au sol, commence à peindre et recouvre la composition d’épaisses couches de résine qui forment une manière d’épiderme, puis elle les redresse. Les compositions tournoyantes s’organisent souvent autour d’un ovale, sorte de point aveugle, qui inspire la forme d’ogive de toiles (2020), trois shaped canvas coniques qui sont comme des tables de la loi, une sorte de code d’Hammurabi de la peinture pour Racana-Weiler. Ils semblent contenir le programme passé et à venir. 

FOND MARINS

Lorsque je regarde ses tableaux, je suis sous l’eau. Ils m’évoquent aussi des fonds marins, le corail cerf ou tubulaire, des paysages où le temps n’existe pas. 

Ce point aveugle apparait aussi à l’hôtel Richer de Belleval (1), à Montpellier, où l’artiste a peint les murs et plafond d’un cabinet où sont aussi intervenus Jim Dine et Abdelkader Benchamma. Elle a oeuvré durant un mois en avril et mai 2020 dans cet édifice du 17e siècle situé dans la vieille ville, sur la place de la Canourgue. Dans cet ancien tribunal, elle a réalisé une grotte, avec en tête la Sibylle de Cumes, qui a inspiré les lois de Rome et vivait dans un antre rocheux. Le point aveugle est une zone blanche au plafond, au zénith, vers où tout converge. Il aspire l’espace comme un trou noir. Il est comme l’oeil de Dieu qui voit et sait tout. Ce point aveugle n’est pas sans évoquer aussi l’histoire de Regulus, ce général romain qui, vaincu par les Carthaginois, devint aveugle en regardant le soleil en face, paupières maintenues ouvertes. Il est un domaine dans lequel Racana-Weiler est très active, c’est celui de la gravure, qu’elle investit à une échelle monumentale. Dans son atelier sont accrochés de grands tirages sur papier. À Montreuil, elle travaille des plaques de contreplaqué à l’aide d’un petit ustensile électrique évoquant presque les outils d’un dentiste. Patiemment, elle creuse la surface, dessine des motifs et trames simulant le passage de la brosse ou le veinage du bois. Elle envoie ensuite les matrices en Autriche où elle les imprime en tournant les plaques et en multipliant les passages de couleur. Elle dévoile ainsi des paysages quasi géologiques, stratifications qui ne sont pas si éloignées des visions d’un Per Kirkeby en Islande. Régulièrement, parmi les empilements rocheux, une tête apparaît, sorte de visage de Bouddha rappelant l’imprégnation du suaire de Véronique. Ce visage, c’est l’ovale, le point aveugle, l’oeil de Dieu qui nous regarde, celui d’Abel dans la tombe, fixant Caïn.

(1) Voir le compte-rendu publié dans artpress n°491, septembre 2021. 

In the field of what is known as abstract painting, Olympe Racana-Weiler’s canvases are particularly seductive and powerfully evocative. They are being exhibited at Galerie 21 Contemporary, Nice, from February 17th to April 15th, 2022.

Four years ago I paid a visit to Olympe Racana-Weiler’s studio in Saint-Ouen. She had just started to exhibit at the Galerie Jérôme Pauchant […] and had been awarded the Pierre Cardin and Marin prizes. […] The last solo exhibition I visited was at Galerie Éric Dupont (in January 2021), which has represented her since 2019.

She invited me to her new atelier, this time in Montreuil: a larger space with lots of windows. […] The compositions are still baroque, animated by an exuberance that might recall some of Frank Stella’s work from the 1970s onwards […]. The line has made its appearance. Following slightly wild diagonals, it runs through the canvases like veins, and the paintings become skins nourished in this way, skins that have their own history and accidents, sometimes flayed in the manner of the satyr Marsyas, punished by an Apollo jealous of his musical gifts. Or, more than veins, they are the lifelines in the palm of a hand, telling the past and the future of a body (that of the viewer), which seems more and more present.

Racana-Weiler has French and Argentinean origins. She has explored Latin America extensively, including the island of Cuba. That is why these lines are also the chaotic lianas of 

tropical forests, which make them impenetrable, impassable. Branches on which birds of paradise land. They symbolise an untameable yet beautiful wildness, something unthought. 

Racana-Weiler spreads the canvases on the floor, starts painting and covers the composition with thick layers of resin that form a kind of epidermis, and then stands them up. The swirling compositions are often organised around an oval, a kind of blind spot, which inspires the ogive shape of the canvases (2020), three conical shaped canvases that are like tables of the law, a kind of Code of Hammurabi of painting for Racana-Weiler. They seem to contain the past and future programme.

SEABED

When I look at her paintings, I am underwater. They also remind me of the seabed, of stag or tube coral, of landscapes where time doesn’t exist.

This blind spot also appears in the Hôtel Richer de Belleval in Montpellier, (1) where the artist painted the walls and ceiling of a room […] where Jim Dine and Abdelkader Benchamma have also worked. She worked for a month in April and May 2020 in this 17th century building in the old town, on the Place de la Canourgue. In this former courthouse she created a grotto, with the Sibyl of Cumae in mind, who inspired the laws of Rome and lived in a rocky lair. The blind spot is a white area on the ceiling, at the zenith, where everything converges. It sucks in space like a black hole. It is like the eye of God that sees and knows everything. This blind spot also recalls the story of Regulus, the Roman general who, defeated by the Carthaginians, became blind by looking at the sun with his eyes open. One area in which Racana-Weiler is very active is etching, which she does on a monumental scale. Large prints on paper hang in her studio. In Montreuil, she works on plywood plates with a small electric utensil almost reminiscent of a dentist’s tools. Patiently, she digs into the surface, drawing patterns and wefts that simulate the passage of a brush or the grain of the wood. She then sends the matrices to Austria where she prints them by turning the plates and multiplying the passages of colour. In this way she reveals almost geological landscapes, stratifications that are not so far removed from the visions of Per Kirkeby in Iceland. Regularly, among the rocky piles, a head appears, a sort of Buddha’s face reminiscent of the impregnation of Veronica’s shroud. This face is oval, the blind spot, the eye of God that looks at us, that of Abel in the tomb, staring at Cain.

(1) See the review in artpress no. 491, September 2021.

Clare Mary Puytoulhoux, 

“Olympe Racana-Weiler - Tous les autres soleils étaient morts.” 

Boumbang, 8 Mai 2018

[...] Olympe Racana-Weiler peint et ses formats parlent au corps. D'une longueur de deux mètres en moyenne, ils sont à hauteur d'Homme, sortes d'espaces surnuméraires prêts à recevoir ces coquelicots qui n'en sont pas mais qu'ils nous offrent pareillement. Ce sont des paysages de rien, des « organismes picturaux » qui tiennent sans attendre quoique ce soit de nous. Quelque part, surplombant, un signe bleu sur fond jaune, troisième oeil de fin des temps, retour de transe.

Une roche
Sortait du noir brouillard comme un bras qui s'approche.
Il la prit, et ses pieds touchèrent des sommets.
Alors l'être effrayant qui s'appelle Jamais
Songea. Son front tomba dans ses mains criminelles.
Les trois soleils, de loin, ainsi que trois prunelles,
Le regardaient, et lui ne les regardait pas. L
'espace ressemblait aux plaines d'ici-bas,
Le soir, quand l'horizon qui tressaille et recule,
Noircit sous les yeux blancs du spectre crèpuscule.
De longs rayons rampaient aux pieds du grand banni.
Derrière lui son ombre emplissait l'infini.
Les cimes du chaos se confondaient entre elles.
Tout à coup il se vit pousser d'horribles ailes;
Il se vit devenir monstre, et que l'ange en lui
Mourait, et le rebelle en sentit quelque ennui.
Il laissa son èpaule, autrefois lumineuse,
Frèmir au froid hideux de l'ailemembraneuse,
Et croisant ses deux bras, et relevant son front,
Ce bandit, comme s'il grandissait sous l'affront,
Seul dans ces profondeurs que la ruine encombre,
Regarda fixement la caverne de l'ombre.
Les ténèbres sans bruit croissaient dans le néant.
L'opaque obscurité fermait le ciel béant;
Et, faisant, au-delà du dernier promontoire,
Une triple fêlure à cette vitre noire,
Les trois soleils mêlaient leurs trois rayonnements.
Après quelque combat dans les hauts firmaments,
D'un char de feu brisé l'on eût dit les trois roues.
Les monts hors du brouillard sortaient comme des proues.
Eh bien, cria Satan, soit! Je puis encor voir!
Il aura le ciel bleu, moi j'aurai le ciel noir.

Victor Hugo

Nous avons dit plus haut la liste des matières qui composent les toiles. Ce qui fait la peinture est autre encore, atemporel: sang et lumière, chairs, vent, contours, luttes intestines entre la main, l'oeil et l'esprit, délivrances successives. Éclat. Il est dit quelque part que le Caravage a compté pour Olympe Racana-Weiler, on le voit. En témoignent l'état d'abandon des nuques et des bouches, ces torsions légères des bustes qui apaisent le charnier de tous les meurtres représentés. Satan peut tomber, Olympe a digéré. Celle dont les expositions récentes se sont nommées « 3'n the mornin' - noire était mon ombre » et « I came back from Paradise and l'm frankly hungry » ne provoque pas. Ce qu'on entend, c'est la terrible force de la jeunesse pour qui l'a oubliée. L'appel d'air de celui qui croit, qui peut, qui, invincible, nie l'usure vulgaire du quotidien. Véhiculé par les titres et l'irisé de certaines encres, quelque chose est là d'un transatlantisme un peu cheap, bien au-delà du pop. On entend les derniers rires d'une fête, le ciel est mauve. Et dans cette aube nouvelle, le coeur se crispe. Impossible de se départir du sentiment que l'ensemble est mâtiné de réminiscences romantiques. Mélancolie oublieuse du kitsch, profondément sincère. L'arène du Boxeur est précisément là: ce n'est pas la honte de la peinture qui handicape, c'est ce spleen renié, transformé en goodie pour touristes en manque de cliché. On se souvient enfin qu'il fût un temps où l'on pouvait dessiner pour trouver, où le geste de peindre était comme celui de regarder le ciel pour comprendre le temps.

[…] Olympe Racana-Weiler paints, and the dimensions of her work speak to the body. With an average length of two metres, her paintings are on a human scale, like supernumerary spaces ready to welcome the poppies that do not exist yet are offered to us nonetheless. These are landscapes of nothing, “pictorial organisms” that instantly inherit whatever it may be from us. Somewhere, overhanging, a blue mark on a yellow background, third eye of the end of time, the trance returns.

A rock

Emerged from blackest mist like some arm approaching.

He grasped it, and his feet touched summits.

Then the dreadful being called Never

Dreamed. His forehead sank between his guilty hands.

The three suns, far off, like three great eyes,

Watched him, and he watched them not.

Space resembled our earthly plains,

At evening, when the horizon sinking, retreating,

Blackens under the white eyes of the ghostly twilight.

Long rays entwined the feet of the great exile.

Behind him his shadow filled the infinite.

The peaks of chaos mingled in themselves.

In an instant he felt some horrendous growth of wings;

He felt himself become a monster, and that the angel in him 

Was dying, and the rebel then knew regret.

He felt his shoulder, so bright before,

Quiver in the hideous cold of membraned wing,

And folding his arms with his head lifted high,

This bandit, as if grown greater through affront, 

Alone in these depths that only ruin inhabits, 

Looked steadily at the shadow’s cave.

The noiseless darkness grew in the nothingness. 

Obscure opacity closed off the gaping sky;

And making beyond the last promontory

A triple crack in the black pane,

The three suns mingled their three lights.

You would have thought them three wheels of a chariot of fire, 

Broken after some battle in the high firmament.

Like prows, the mountains from the mist emerged. 

“So,” cried Satan, “so be it! I can see!

He shall have the blue sky, the black sky is mine.

Victor Hugo

We’ve already mentioned the list of media found upon the canvas. What turns them into a painting is something else, timeless: blood and light, bodies, wind, contours, internal struggles between the hand, eye and spirit; one by one they deliver. Radiance. It’s said, somewhere, that Caravaggio is important to Olympe Racana-Weiler, and you can see it. It’s in the state of abandon of necks and mouths, subtle torsions of the chest, appeasing the ossuary of all the murdered who are represented. Satan may be, accepts Olympe. In her recent exhibitions, titled “3’n the mornin’ – noire était mon ombre [black was my shadow]” and “I came back from Paradise and I’m frankly hungry”, she does not provoke. What you do hear is the incredible strength of youth for those for whom it is forgotten. The siren call of the believer who can, invincible, who can deny the common erosion of daily life. There’s something of a transatlanticism about the titles and iridescence of certain inks that’s a little cheap, beyond pop, no doubt. You can hear the final trail of laughter at a party, the sky is mauve. And in this new dawn, the heart contorts. It’s impossible to abandon the idea that it’s all tainted with romantic recollections. A forgetful yet melancholic kitsch that’s deeply sincere. The boxing ring is right there: it’s not the painting’s shame that holds things back, it’s the repudiated ennui turned into goodies for tourists, for lack of a cliché. You finally remember that there was a time when you could draw to find something, when the process of painting was 

« Olympe Racana-Weiler - Romance with a bird »

Lillian Davies, Paris, 2022.

Texte traduit par Vincent Broqua et publié dans le catalogue de l’exposition « Romance with a bird » Galerie 21 Contemporary, Nice.

La meilleure façon d’appréhender les oeuvres d’Olympe Racana-Weiler (née en 1990), s’il faut absolument en distinguer une, est de le faire au moyen du corps tout entier. La pulsation et l’ampleur de ses toiles peintes sur du lin préparé proviennent de la forme humaine, de ses rythmes internes et sociaux, de ses mouvements à la fois gauches et transcendants. Enfant, Racana-Weiler a étudié la danse classique, mais elle a ensuite pris la décision d’éloigner le regard du public de sa peau et de le diriger vers ses immenses toiles. Ses oeuvres d’une abstraction gestuelle induite par la matière et une idée de la figure commencent adossées au mur, formant pour ainsi dire une scénographie dans l’immense atelier inondé de soleil où elle travaille à Montreuil. [...] C’est comme si une chorégraphie émergeait dans cette élaboration de ses toiles, où chaque médium « est utilisé systématiquement pour ses qualités propres ». Pour l’artiste, l’idée consiste à « créer quelque chose de singulier, un objet, une présence corporelle ». L’énergie de la danse, la légèreté et la force d’un grand jeté, par exemple, animent les compositions dynamiques de Racana-Weiler, et génèrent une indéniable musicalité. [...]

La pratique de l’artiste s’est encore élargie depuis le printemps dernier, lorsqu’elle a travaillé à sa fresque Le chant de la Sybille, commandée par la Fondation GGL Helenis à Montpellier, pour le plafond et les murs en double hauteur d’une salle lumineuse de l’Hôtel Richer de Belleval. Se trouver dans ce lieu, c’est pénétrer à l’intérieur du chant grégorien mystique auquel renvoie le titre de Racana-Weiler. D’une beauté spectrale, ce chant médiéval raconte une apocalypse prophétique. L’artiste se réapproprie cette vision, en transférant le chant de la soprane et le silence dans cette forme et cette vivacité de la couleur. En abordant le travail de la fresque, Racana-Weiler a été amenée à se confronter à la structure de ce bâtiment du XVIIe siècle, et c’est peut-être en relevant ce défi que l’artiste a commencé à clarifier davantage les architectures qui structurent depuis longtemps dans ses propres toiles. Ainsi, malgré leur grande amplitude, Orange Magnet et Pretty pink, baby blue, qu’elle a peints l’été dernier, tout comme les toiles qu’elle avait présentées dans son exposition personnelle Behind the Eyes à l’automne dernier, révèlent un sens de la composition plus puissant et plus resserré encore. [...]

Si dans les années 1950 on aurait pu donner le qualificatif d’expressionnisme abstrait à la force et la vigueur de l’oeuvre de Racana-Weiler, aujourd’hui on pourrait la qualifier de maximaliste, un terme utilisé par la peintre contemporaine étatsunienne Rosson Crow pour décrire l’immensité et la complexité de ses toiles. Dans le numéro de février 2022 d’Art Press, Richard Leydier affirme que les peintures de Racana-Weiler sont « exubérantes » et « baroques ». [...] Il évoque l’envie de mouvement, l’ornementation et la magnificence, le Baroque - né à Rome dans le premier XVIIe siècle et promu vigoureusement par l’Église Catholique contre l’austérité luthérienne grandissante - est une référence historique utile pour l’oeuvre de Racana-Weiler. [...]

La recherche de l’artiste dans les possibilités de l’harmonie des couleurs fonctionne à plein régime. Palenque, par exemple, est une tapisserie maya très densément tissée. Et Coyote Radar est composée comme Elaine de Kooning aurait pu le faire : forme et couleur sont tissées l’une à l’autre pour créer un noyau d’énergie. Comme des parachutes tirés par leur câble d’ouverture, les compositions de Racana-Weiler ont acquis une tension nouvelle l’an dernier. Ses oeuvres sont structurées, elles constituent des espaces complexes où abondent ciel et soleil qui surplombent des paysages habités, méditerranéens, cette fois-ci. Elles sont les prouesses d’un corps, déterminé. 

Text translated by Vincent Broqua and published in the “Romance with a bird” exhibition catalogue at Galerie 21 Contemporary, Nice.

If there is a best way to approach the works of Olympe Racana-Weiler (b.1990) it is with your whole body. The pulse and scale of her paintings on stretched linen rises from human form, its rhythms, internal and social, and its movements, awkward and transcendent. As a child Racana-Weiler studied classical ballet, but the moment came when she decided to push the audience’s gaze away from her own skin and onto her large-scale canvases. Her gestural abstractions, informed by the figure, begin flat on the wall, a sort of scenography, if you will, in her immense sun-flooded studio in Montreuil. […] A sort of choreography emerges in her development of each canvas, each medium “used systematically for their own quality.” The idea, for the artist is to “create something else, a sort of object, a bodily presence.” The energy of dance, the lightness and strength of a grand jeté, for example, animates Racana-Weiler’s dynamic compositions, and creates an undeniable musicality. […]

The artist’s practice has further developed since her work on the fresco Le Chant de la Sybille last spring. Commissioned by Montpellier’s Fondation GGL Helenis for the double height walls and ceiling of a light-filled room in the historic Hôtel Richer de Belleval, to be inside the work is to be inside the otherworldly Gregorian chant that Racana-Weiler references with her title. Hauntingly beautiful, this Medieval song narrates a prophesized apocalypse, a vision the artist appropriates, translating soprano and silence into form and vivid color. Working in fresco, Racana-Weiler was forced to address the structure of the seventeenth century site, and it was perhaps in this challenge that the artist began to heighten the clarity of the architectures long present within her own canvases. Orange Magnet et Pretty pink, baby blue, for example, painted last summer, as well as the canvases she presented in her solo exhibition Behind the Eyes last fall, while consistently expansive in scale, reflect a more powerful and tightly bound sense of composition. […] 

Labelled Abstract Expressionist in the 1950s, the strength and vigor of Racana-Weiler’s work could be called Maximalist today, a term contemporary American painter Rosson Crow uses to describe her immense and intricate canvases. In artpress’s February 2022 issue Richard Leydier describes Racana-Weiler’s paintings as “exuberant” and “baroque.” […] Baroque is a very useful historical reference for Racana-Weiler’s work, that impetus for movement, ornament and grandeur, emerging in Rome in the early 17th century, and enthusiastically supported by the Catholic Church as a rebuttal to a spreading Lutheran austerity. […] 

The artist’s research in the possibilities of harmonious color is in full force. Palenque, for example, is as tightly woven as a Mayan tapestry. And Coyote Radar is composed as Elaine de Kooning […] could have, form and color knit together into an energetic core. As if a parachute pulled with a ripcord, in the last year, Racana-Weiler’s compositions have become even more taught. Her works contain structures, complex spaces full of sky, of sun, floating high above a peopled landscape, Mediterranean this time, in a feat of the body, determined. 

« Olympe Racana-Weiler, L’iridescence »

par Jeanette Zwingenberger, Paris, 2019. 

Texte de présentation de l’exposition « Neon Driving », Galerie Eric Dupont, Paris.

Olympe Racana-Weiler rompt et survie à l’éblouissement immanent de la toile». Pour l’oeuvre Naked City, elle évoque à la fois l’incandescence du Colisée de Rome, mais aussi les stratifications de l’histoire. Son désir est que l’oeil soit toujours tenu au sens musical à la poursuite d’une présence jamais saisissable. 

De son enfance dédiée à la danse, elle a gardé le sens de l’espace, des mouvements, le dialogue avec les lumières. Elle choisit de formuler sa chorégraphie sur des toiles à l’échelle humaine où elle déploie des touches de brosses en staccato, allegro, sourds ou lumineux. Son omniprésence s’incarne depuis dans cette peinture.

Toutefois la virtuosité du premier geste est mise en danger par l’antagonisme des différents médiums. L’encre irisant se rétracte dans la nappe d’essence de térébenthine. Le spray s’écume. Les résidus s’infusent et restent plaquer sur la toiles. Les pigments en gravats montent des remparts mais des rochers aux ventres des couleurs les freinent. Des craquelures renvoient à une échelle géologique, interrompues par cette couleur chair qui appartient à l’échelle cellulaire. Des tonalités de couleurs bleu outremer, rose brillant, violet et rouge dioxyde jaillissent parfois dans le silence des plages de couleurs. L’écoulement de l’encre irisée, instable à l’extrême mais résistant à toute couverture, surgit dans une lumière sombre. 

Le défi d’Olympe Racana-Weiler est de faire éclore le processus de la peinture en tant qu’objet. Dans Mercure Sauvage, la flaque réfléchissante de l’aluminium jaillit tel un oeil qui nous fixe. Les flux, stries, taches, nappes d’ombre évoquent une vision rétinienne, d’un déjà vu qui nous rappelle la phrase de Gilles Deleuze sur Cézanne. « L’homme absent parce que tout entier dans le paysage ». Proche d’une germination, cette matérialisation d’une mémoire glissante est insaisissable, le regard toujours sollicité comme un phare intérieur. La peinture se personnifie. Les incisions, grattages et inversions témoignent d’une dimension sculpturale, d’un champ de force entre vide et plein. 

Elle s’impose alors comme une présence active. 

Pour l’artiste la peinture sauve l’homme de sa mémoire et par sa force plastique elle emporte sur les mots. Ces paysages intérieurs nous libèrent du miroir infernal, nous mettant face à l’impensable. C’est la nécessité de quitter l’espace du parlêtre pour rentrer dans une temporalité propre. Ni ligne, ni angle, on se perd à l’intérieur de ces toiles, seul le cadre nous ramène vers un réel tangible. Nous sommes dans la carte d’un monde insensé et très concret. 

Exhibition info for the show “NEON DRIVING”, Éric Dupont Gallery, Paris.

Olympe Racana-Weiler disrupts and survives the intrinsic wonder of the canvas. Her work, Naked City evokes both the incandescence of Rome’s Colosseum and its layers of history. She hopes the eye will always cling to musical meaning in its pursuit of a presence that’s never fully attainable.

Since her childhood, which was dedicated to dance, she’s maintained a sense of space, movement and dialogue with light. She chooses to recreate her choreography on human-size canvases where she applies staccato, allegro, muted or radiant brushstrokes. Her omnipresence is embodied in the painting.

However, the virtuosity of her first movement is put in danger by the antagonism of different media. The glistening ink withdraws into a layer of turpentine. The spray froths. The residue of each infuses the other, still clinging to the canvas. The gravelled pigments climb the ramparts but the rocks with bellies full of colour hold them back. Cracks evoke geological strata, interrupted by the colour of flesh, suggesting cellular layers. Shades of ultramarine blue, gleaming pink, violet and eosin red sometimes spring out into the silence of colourful expanses.

The flow of iridescent ink – extremely unstable but resistant to all other coverage – emerges from within a sombre light. 

Olympe Racana-Weiler’s challenge is to nurture the process of painting till it gives birth to an object. In Mercure Sauvage (Wild Mercury), the reflective pool of aluminium springs out like an eye staring upon us. The ebbs and flows, furrows, marks, blankets of shadow evoke retinal vision, a sort of déjà-vu that recalls the words of Gilles Deleuze on Cézanne: “Man is absent from but entirely within the landscape”. Like germination, this materialisation of a whispering memory is elusive, the gaze always called upon like an internal beacon. The painting takes a human form. The incisions, scratches and inversions reveal a sculptural dimension, a force field between emptiness and fullness.

And so she becomes an active presence.

For the artist, painting saves man from his memory, and through aesthetic force it defeats words. These interior landscapes liberate us from the infernal mirror, so we must confront the unthinkable. It’s the need to leave the space of the speaking-being to enter a particular temporality. No edge, no corner; you lose yourself inside the canvas, and only the frame brings you back to a tangible reality. We are within a map of a senseless yet very concrete world. 

Olivier Cena, “La Chronique d'Olivier Cena, Neon Driving,

Peinture, Olympe Racana-Weiler” 

Télérama, 3605, 16 février 2019, p. 67

L'organisation du chaos est un exercice périlleux. Simple en apparence - on met un tas de choses sur la toile –, sa complexité se révèle au fur et à mesure que se recouvre la surface. Un danger guette : l'exagération, l'emphase, le trop, le kitsch. Ainsi, la surcharge de signes et de couleurs, cette hypertrophie expressionniste, a fini par engloutir l'énergie du peintre allemand Jonathan Meese. Organiser n'est pas ajouter et empiler jusqu'à l'écoeurement. Il faut posséder un sens profond de la composition pour, comme le fait l'Américain Frank Stella depuis 1975, ordonner l'accumulation de formes et la doter d'une structure baroque.

Bien souvent, ce procédé ne fonctionne que lorsque l'artiste est jeune. Le peintre se laisse guider par son instinct et son énergie. Il vit sa peinture comme un danseur vit la musique. Il lui faut de la spontanéité et de l'inconscience. Olympe Racana-Weiler se lance donc dans une aventure difficile. Elle est jeune (27 ans) et talentueuse. Ses toiles sont abstraites ; la couleur y explose. Des profondeurs s'y forment et l'espace vit, surtout lorsqu'il n'est pas saturé de peinture et qu'un fond laisse au regardeur la liberté d'errer entre les taches, les méandre, les entrelacs (Mercure sauvage, 2018). La sensation florale domine et, au-delà, un sentiment plus végétal que minéral. L'artiste tente, semble-t-il, de restituer le regard qu'elle porte sur le monde, que ce soit un cerisier ou l'éclat d'une lumière sur l'eau. Il y a, dans le maelström de couleurs et de formes, quelque chose qui la rapproche de la Britannique Cecily Brown. Ça bouge, beaucoup, avec justesse et sans violence excessive. 

The organisation of chaos is a perilous activity. Simple to all appearances – you put a pile of things on canvas – its complexity is unveiled as the surface is covered. But there’s a danger lying in wait: exaggeration, emphasis, too much, kitsch. Thus, the overload of mark-making and colour, this expressionist hypertrophy ends up engulfing the energy of German painter, Jonathan Meese. Organising doesn’t mean adding and piling up until it becomes nauseous. You need to have a deep feeling for the composition so as to order the accumulation of forms and give the composition a baroque structure, rather like the American, Frank Stella has done since 1975. 

Quite often, the process only works when the artist is young. Painters let themselves be guided by their instinct and energy. They experience paint like a dancer experiences music. They find spontaneity and unconsciousness are necessary. […] Hence, Olympe Racana-Weiler is at the start of a difficult journey. She is young (27) and talented. Her canvases are abstract; colour explodes upon them. Depth is created upon them and space exists, especially when a canvas isn’t saturated with paint and when the background gives the viewer the freedom to wander between the mark-making, the meanderings, the intermeshing (Mercure sauvage [Wild mercury], 2018). There’s a floral impression that dominates, and beyond, an intention that’s more vegetable than mineral. The artist, it seems, tries to reproduce the view she has of the world, whether it’s her gaze upon a cherry tree or the radiance of light upon water. There’s something similar to the British artist, Cecily Brown in the maelstrom of colours and forms. Things are moving, a lot, rightfully, and without excessive violence. […]

Michel Nuridsany

Automne 2018 

« Olympe, 

Une peinture vivante, voilà. Une peinture non fixée, non définitive. Une peinture qui s’offre en grand format. Une entendue où la pâte et la couleur vibrent, frémissent, chantent, se creusent, se donnent à pénétrer. Une peinture qui respire.

Olympe Racana-Weiler n’apprécie pas trop qu’on la dise « abstraite ». Mais, comme, à l’évidence, elle n’est pas figurative non plus, comment la qualifier ? On pourrait dire de cette très jeune artiste qu’elle se situe sur une ligne de crête, dans une tension entre figuration et abstraction. Plus exactement, elle agit dans un no mans’s land où il n’est plus nécessaire de nommer, où les contraires ne sont plus des contraires mais des éléments d’un tout qui nous conduit à parler de métabolisme, de cet ensemble de réactions qui interagissent au sein d’un être vivant. En fait, le processus créatif tourne ici, autour d’un corps constamment évoqué́, jamais représenté́, autour d’une euphorie de la matière en attente d’une incarnation. 

L’écrivain Witold Gombrowicz parlait de l’immaturité́ comme d’une passion de l’inachèvement, contre la forme qui fixe et ferme. Il y avait une guerre, chez Gombrowicz, entre la forme et l’informe. Une indétermination créatrice. Chez Olympe Racana-Weiler aussi . »

“Olympe,

A living painting, voilà. A painting that’s unstable, indeterminate. A painting that’s huge in size. An expanse where texture and colour pulsate, tremble, sing, swell, surrender to permeation. A painting that breathes.

Olympe Racana-Weiler doesn’t really like being called ‘abstract’. But, as she’s clearly not figurative either, how can you describe her? You could say that such a young artist walks a tightrope, it’s tension lying somewhere between figuration and abstraction. More precisely, she moves inside a no man’s land where no longer do you need definitions, where contradictions are no longer contradictions but elements of a whole, leading us to speak of metabolism, of this set of reactions that interact within a living being. In fact, this is where the creative process operates, revolving around a body, always evoked, never represented, around a euphoria of the medium awaiting incarnation.

The writer, Witold Gombrowicz spoke of youth as a passion for incompletion, opposed to a form that fixes and finalises. With Gombrowicz, there was a war between form and formless. A creative indetermination. This exists with Olympe Racana-Weiler too.”

« Olympe Racana-Weiler en conversation

avec Jim Dine » 

traduit par Vincent Broqua. Paris, 2018. 

Publié dans le catalogue de l’exposition « I came back from Paradise and I’m frankly angry »
galerie Jerôme Pauchant, Paris. 

JIM DINE Quand as-tu compris que tu allais devenir peintre, je veux dire quand l’as-tu vraiment compris? 

OLYMPE RACANA-WEILER Il y a eu deux moments. Celui de la première peinture que tu n’as jamais vraiment peinte. Le premier objet de désir qui appelle ta recherche future. Puis, je pense que j’ai compris que j’allais devenir peintre lorsque j’ai commencé à travailler sur les mots. 

JIM DINE Quel type d’oeuvre était-ce ? 

OLYMPE RACANA-WEILER Je travaillais sur un texte et j’ai commencé à faire un dessin de ce texte. J’en ai extrait quelques mots mais surtout je sentais la scène, les sonorités de sa situation. J’ai trouvé que la forme et le contenu du dessin advenaient dans ce processus. 

JIM DINE Quel texte était-ce ? 

OLYMPE RACANA-WEILER Les Métamorphoses d’Ovide. La séquence où est évoquée la traversée du Styx, le va-et-vient entre mort et réincarnation. J’ai su alors que j’allais devenir une artiste, être en conscience de l’être.

[...] 

JIM DINE Donc tu vois le pouvoir de tout ça dans le fait que la peinture est vivante ? 

OLYMPE RACANA-WEILER Exactement. 

JIM DINE Est-ce que tu as alors pensé que tu avais une relation avec la peinture et que tu pouvais utiliser ce matériau ? Est-ce que tu t’es sentie à l’aise avec le fait d’utiliser tout cela ? L’utilisation de ce matériau t’apportait-elle une satisfaction ? 

OLYMPE RACANA-WEILER C’était plus que satisfaisant. Je pense que je ne savais rien mais j’étais à l’aise avec la finalité, avec l’idée de lumière, de la couleur. J’avais une ambition, et j’étais pleine de curiosité mais la matière me résistait et j’essayais de comprendre. 

JIM DINE Le défi du matériau ?

OLYMPE RACANA-WEILER Oui, le défi que pose le matériau. C’est pourquoi j’étais intéressée par la matérialité de la peinture. Je suis libre avec la matière parce que... 

JIM DINE D’où est-ce venu, cette liberté ? Penses-tu que tu as trouvé un moyen de parler à travers la matière ? 

OLYMPE RACANA-WEILER Oui. J’ai travaillé aussi avec d’autres médiums et je crois que ça m’a donné beaucoup de liberté dans mon contact à la peinture. Etudiante à Saint-Charles, je travaillais la vidéo, un plongeon dans le pixel qui se débridait.

J’utilisais le plexiglas, le latex, la toile de jute pour amplifier la présence de cette forme dans l’espace. Mais la trace définitive me manquait. J’avais l’impression de faire taire l’intensité de ma main. L’aspect éphémère ou toujours en projet de ce type d’installation m’a ramenée à la peinture de manière décisive.

Plus tard, mon choix d’apprendre aux cotés d’artisans, le fait de mimer leurs gestes, de connaitre leurs outils, a élargi mon contact à élargi mon contact à la matière. 

JIM DINE Cela t’a donné le langage adéquat. [...] 

JIM DINE Ecoute, De Kooning disait qu’il ne pensait jamais qu’une peinture soit finie. Et je comprends cela parfaitement. Quand une peinture est-elle finie? Peut-être que si on est un peintre de la représentation et qu’on est très intelligent, disons, comme Balthus ... il avait une intention, une intention littéraire de matérialiser une idée et de la peinture de la façon la plus aboutie qui soit, et cela il le pouvait parce qu’il était un dessinateur et un peintre talentueux. Et donc, nous savions quand c’était terminé, même si cela ne semblait pas terminé, d’ailleurs ce sont les toiles que je préfère. Il faut être un peintre très sophistiqué pour pouvoir donner un tel aspect à une peinture. Et pourtant De Kooning n’était jamais satisfait et pensait que ses peintures n’étaient jamais finies, il n’arrêtait pas de les gratter. Et dans un sens, c’était une expérience ouverte pour De Kooning, remplie de doute sur lui-même, mais c’était aussi une quête de la perfection. 

OLYMPE RACANA-WEILER Ouverte ?

JIM DINE Oui, si on est un peintre abstrait, un peintre comme toi, qui peint à partir des purs sentiments et de l’émotion, cela peut ne jamais être terminé, je crois, qu’en penses-tu ? 

OLYMPE RACANA-WEILER Je ne suis pas certaine d’être d’accord. Quand je peins, ça peut être terminé tout de suite.Quand je commence une toile, je peux m’arrêter de peindre, et voir que c’est quelque chose et décider de le laisser ainsi. 

JIM DINE C’est certain, car étant peintres, nous sommes comme les Rois et les Reines, nous décidons de quand c’est fini. 

OLYMPE RACANA-WEILER En même temps, je pense aussi que le doute fait partie intégrante de la peinture elle-même,je veux dire que l’image doit être mise à l’épreuve encore et toujours. Et on sait que c’est fini quand le doute lui-même devient le sujet de la peinture. Tu as dit “pour toi qui es une peintre abstraite”, mais pour moi cela n’a pas beaucoup d’importance. 

JIM DINE Je sais. Ce n’est pas ça qui t’intéresse. 

OLYMPE RACANA-WEILER Je sens quelque chose comme une double temporalité, quelque chose qui traverse mon corps très rapidement et qui est très vivant et fugitif. Ensuite, je construis et élabore. Et donc, dans mon processus de travail, il y a une sorte de gradation dans ma façon d’utiliser différents matériaux, de les superposer. Donc ma peinture est semblable à un corps vivant mais elle n’est pas de l’ordre de la représentation. 

JIM DINE Que peut-on dire d’autre de ta peinture ? La seule chose d’autre que je peux voir est que lorsque ta peinture est réussie, elle devient un objet. On peut la percevoir comme un objet. Bien entendu, les peintures les plus profondes sont des objets. 

OLYMPE RACANA-WEILER Je dirais que je travaille avec la mémoire oublieuse et ma main témoigne de cette mémoire. Et voilà pourquoi je n’utilise pas de figure. 

JIM DINE Mais dans ton travail, tu utilises les figures. 

OLYMPE RACANA-WEILER J’utilise autre chose que la figure. 

JIM DINE Pourtant dans tes gravures tu utilises la figure. 

OLYMPE RACANA-WEILER Bien entendu, j’utilise les figures sur les gravures mais c’est un autre type de travail. 

JIM DINE Non non, c’est ton travail.

OLYMPE RACANA-WEILER C’est mon travail, bien entendu, mais, dans ma peinture, la seule figure c’est l’empreinte du pinceau. 

JIM DINE D’accord, mais il y a quand même une allusion. Ce n’est pas comme chez Rothko, qui ne fait pas allusion à la figure. De Kooning fait allusion à la figure, au paysage, à la nature morte. 

OLYMPE RACANA-WEILER Oui, je vois ce que tu veux dire, oui, la figure, s’il y en a une, n’est pas de l’ordre de la représentation, et peut-être que chez Rothko une figure interne se manifeste dans sa peinture, mais qu’elle soit abstraite ou pas, la figure chez Rothko est sa peinture. 

JIM DINE Il n’utilise pas de figure, mais la couleur pour parler de la figure. Il utilise les couleurs parce que ça amène quelque chose d’autre sur toute la surface, et c’est très différent du carré ou du rectangle exact. En fin de compte, ce qui vient est plutôt un profond silence mais ce n’est pas une figure... c’est dé-figuré. 

OLYMPE RACANA-WEILER Mais je crois que ces peintres abstraits - et je pense en particulier à une peinture de Richter où il s’approprie toute l’étendue de la palette de Bonnard -, produisent un travail qui trouve parfaitement place dans un projet, dans un état critique de ce qu’est la peinture. 

JIM DINE Parce qu’il est très intelligent. Tu ne peux pas être cynique si tu n’es pas intelligent. C’est une bonne conversation, que j’ai rarement eue. Mais parlons de ta peinture, ce que tu dis est si profond. Qu’en est-il de la relation entre tes peintures et tes gravures? 

OLYMPE RACANA-WEILER Elles sont très différentes. Quand je grave, je ne fais pas des gravures mais une gravure, un monotype. Il n’y a pas d’édition donc appelons cela travaux sur papier. Quand je peins, je ne poursuis pas une forme particulière, et si un schème apparaît, je le teste, je le dissous, je l’oublie. Par la nature même du travail de la gravure, je commence avec des formes. Dès qu’on commence à graver ça fait signe, car quand tu graves, contrairement à la peinture, tu n’as pas de couleur au départ. Je commence toujours avec un dessin, ou une forme, qui est pleine de défauts, et je la travaille avec un couteau et des outils électriques, et ces outils sont extrêmement importants dans cette différence entre la peinture et la gravure. Puis je vais perdre la figure, ou le signe, je vais l’annuler de plus en plus dans le processus d’impression. 

JIM DINE Ce qui est important, également, c’est que le bois est concret et le processus de gravure est concret. 

OLYMPE RACANA-WEILER Oui, tout à fait, le bois est concret, c’est vrai. Le bois est partie intégrante de la structure du travail final de par son veinage, sa rythmique. 

JIM DINE Qu’en est-il du récit dans ta peinture ? 

OLYMPE RACANA-WEILER Ce qui m’intéresse est que la peinture est une source de connaissance que les mots ne peuvent matérialiser. À la fin du processus, je vois quelque chose qui a émergé d’un métabolisme, d’une multiplicité de temporalités, c’est devant toi “comme ça”, incarné, réel. 

Published in the exhibition catalogue for “I came back from Paradise and I’m frankly hungry”
at the Galerie Jerôme Pauchant, Paris. 

JIM DINE: When did you first know that you were going to be a painter, I mean seriously know.

OLYMPE RACANA-WEILER: There were two moments. The first was the moment of the first painting that you’ve ever really made. The first object of your desire that looks forward to your future research. Then, I think that I realized that I was going to be a painter when I started to work on words.

JIM DINE: What work was that?

OLYMPE RACANA-WEILER: I was working with a text and I started to make a drawing of this text. I extracted a few words from it but above all I had a feeling about the whole scene, the sound of its situation. I found that the form and the content of the drawing arose from this process.

JIM DINE: What kind of text was that?

OLYMPE RACANA-WEILER: It was Ovid’s Metamorphoses. The section about crossing the river of the dead, the to and fro movement between death and reincarnation. I then knew I was going to be an artist, I was conscious about it.

JIM DINE: But that was the moment when you knew that you were going to be an artist or a painter?

OLYMPE RACANA-WEILER: A painter. Yes I think it was something about…

JIM DINE: More precisely, how did the idea about being a painter come about? I know you’ve worked at paintings all your life. How old were you when this happened?

OLYMPE RACANA-WEILER: 15. But I was always obsessed by painting from the start. I remember that when I was a child, I had made a drawing from a book. It was the Renaissance portrait of a woman in sort of ecstasy, singing or in love, that sort of thing. And I was trying to come up with a way to draw her face, to replicate her expression in my drawing; I was also trying to reproduce the dress, the crazy geometry of the dress, its texture, the different light effects. I was fascinated by the figure of course but I was also struck by the structure of the clothes, my problem was how to invent…

JIM DINE: I understand, but did you know then that you were driven to be a painter?

OLYMPE RACANA-WEILER: I think it was a choice I made as an opposition to something else.

JIM DINE: When you always drew when you were a child, did you find peace?

OLYMPE RACANA-WEILER: Yes, I became aware that this was my calling, I see it as belonging to the research that I am into now, it is as if the research had begun then. I mean that I realized that I could create a world… It started by a gift. A gift that you can make, that you can produce by yourself. You also realize that you can produce some love for another person. But then that other person disappeared and in fact it broadens the aim of the painting.

JIM DINE: What do you have in mind when you say another person?

OLYMPE RACANA-WEILER: Hum, the other person is the one you make the gift to. More specifically, I think that person was my mother. I was trying to make a gift to my mother. Her disappeared eyes became the world.

JIM DINE: That’s my other question. Did your parents separately encourage you, did they see your talent, or did they just see a little girl making pictures?

OLYMPE RACANA-WEILER: No, they were happy with what I was making. Yet, for me, this was something to protect, something that I almost needed to hide… it wasn’t there yet.

JIM DINE: What do you mean?

OLYMPE RACANA-WEILER: I felt that I needed to create that space. I mean my own rapture. When I was a little girl, I would dance all the time, I would dance for anyone and everyone. I was ecstatic. Then all of a sudden through the way beholders looked at me, I realized that I was giving everything out, that I was giving away a very intimate part of myself. Through dance I realized that that whole thing came from me and that the support mattered to me. In fact, the second moment when I understood that painting was happening was when that object of desire was shifted, displaced.

JIM DINE: Did it really work like that?

OLYMPE RACANA-WEILER: I was just happy, that’s all… I could dance for hours. I had a certain sense of presence and of giving, a sense that my mother passed on. At 11, I felt the other persons’ look on me, it was almost intrusive. And I thought that it wasn’t my way to go, I mean working on that exaltation. I think that this is the reason why I stopped and I started to paint.

JIM DINE: Does painting give you peace?

OLYMPE RACANA-WEILER: Because it gave me peace but also because I could see the body that I was creating.

JIM DINE: I see, the other was too ephemeral, like a vapor, this was more material.

OLYMPE RACANA-WEILER: Yes indeed, because I felt that I could totally enjoy myself with painting, it created more complexity. I needed a coat, to create a coat for this body.

JIM DINE: To protect it?

OLYMPE RACANA-WEILER: To be with me. I had to have this mirror. This body gave me a lot to produce. The observation of this body through the perspective of dance taught me to put a mask on this face, to make movement, and I also learned how the body is made…

JIM DINE: But it’s also the way that you learn to create an illusion (and to trust that illusion) like a painting. You were training for painting.

OLYMPE RACANA-WEILER: I don’t know if you can be trained to be a painter. You either paint or you don’t, but those memories were important to me. I started to paint and I transformed these experiences.

JIM DINE: When did you criticize your own painting for the first time?

OLYMPE RACANA-WEILER: I always did.

JIM DINE: You mean it was never good enough?

OLYMPE RACANA-WEILER: No, it came the way it did but it was always traumatic. And I didn’t wish to transcribe feelings literally or to draw a literal figure. Therefore I was criticizing my own work then.

JIM DINE: Because I know you are so critical about your painting. You’re good at that. Therefore when it’s shit you can change it, or try to. So when was that? Let’s call it the first critical moment.

OLYMPE RACANA-WEILER: I always was. I mean that I always have observed the world, everyone’s habits, their desires. At first, I was almost sorry to paint.

JIM DINE: Why?

OLYMPE RACANA-WEILER: What I could see in my painting is that I was killing my mother. I mean when I started to paint, what I saw was a beheading, a separation.

JIM DINE: I don’t understand.

OLYMPE RACANA-WEILER: It was very clear, that’s what I saw. I started in that studio in the 13th arrondissement, my mother was sick then…

JIM DINE: This was the abstract studio where you were training?

OLYMPE RACANA-WEILER: Yes. I would always see her body come and go. And I started to see the death, and it came through my hand. This is what truth can do, in the painting something about the material that one uses is infused with the life that comes, something that you cannot make disappear, something that you have to face. Anyway, this had nothing to do with abstraction, I got a more complex sense of what humanity is. My freedom seemed too remote and so I had to work on it. I mean that I didn’t want to be explicit and didn’t want to paint the story of myself. My personal history was heavy. I was not working on materials, it was not abstract. I could see how powerful I could be.

JIM DINE: So you see the power of it in the fact that painting is alive?

OLYMPE RACANA-WEILER: Exactly.

JIM DINE: Did it make you think that the paint, I mean the material, that you had a relationship with the paint to use that material? Did you feel comfortable to use it? Was it satisfying, using material?

OLYMPE RACANA-WEILER: Using it was more than satisfying. I think that I didn’t know anything at the time, but I was fine with the idea of creating a final work, with the idea of light and the idea of color. I had an ambition, and I was curious but materials resisted me and I was trying to understand why.

JIM DINE: The challenge from the material?

OLYMPE RACANA-WEILER: Yes the challenge from the material and that’s why I was interested by the materiality of paint, I’m free with the material because…

JIM DINE: Where did that come from, the freedom? Do you think that you found a way to speak with the material?

OLYMPE RACANA-WEILER: Yes. I also worked with other mediums and I think that it gave me a lot of freedom in my relation with painting. When I was a student at the Sorbonne’s art institute, I worked with video, I was immersed in the unbridled nature of pixels. I was using Plexiglas, latex, burlap to amplify the presence of that form in space. But I needed the trace that painting allows. I had the impression that the intensity of my hand was muted. The ephemeral aspect I was using in that type of installation definitely brought me back to paint. Later, I chose to train with craftsmen, I would mime their gestures, I wanted 

« Entretien croisé avec Anastasia Simoniello,

historienne de l'art,
Quentin Euverte / Olympe Racana-Weiler ».

Paris, 2017.

Exposition « Quentin Euverte / Olympe Racana-Weiler - 3’n the mornin’ / Noire était mon ombre » Galerie Michel Journiac. Centre Saint Charles-Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Paris. Commissariat : Jérôme Pauchant.

ANASTASIA SIMONIELLO Je souhaiterais commencer cet entretien en abordant la genèse de vos oeuvres. Lorsque l’on parle avec toi, Olympe, on a la sensation que la création est vécue comme une forme d’ascèse, un exercice spirituel tendant vers un idéal artistique qui permettrait à la matière picturale de prendre corps, d’exister et de s’exprimer à travers toi, autant que tu existes et t’exprimes à travers elle.

OLYMPE RACANA-WEILER En effet, la peinture contient l’ineffable et l’absurde. Elle ne s’abstrait pas. Dans mon contact à la matière, se combinent mémoires, représentation, identité, goût, sans ja- mais en être le sujet propre. Peindre est mon espace de transformation. Le geste pictural dévoile ce que l’on porte en soi. L’acte de peindre me lie au monde. Mon travail consiste à lui rendre forme.

ANASTASIA SIMONIELLO Tu m’expliquais que tu n’y es parvenue qu’après un long cheminement ponctué de prises de conscience et de renoncements.

OLYMPE RACANA-WEILER Cette forme d’éthique de la peinture a, en effet, nécessité un temps de maturation. Comprendre la spécificité de la peinture induit une séparation de l’anecdote, de l’idée de soi.

A.S. Mais finalement ta toile a réussi à devenir le lieu d’incarnation du corps pictural.


O.R.W. Oui. Je veux donner à voir l’insaisissable de la matière immobile qui m’habite. Produire un espace impensable, en germination permanente. L’oeil est toujours sollicité. Rien pourtant ne se laisse regarder, saisir, penser, critiquer. Impossible résolution dans cet état en suspens. Alors, le temps s’ouvre.

A.S. Olympe, quelles sont les matières que tu emploies dans ton oeuvre ?

O.R.W. Elles sont de toutes sortes: encre iridescente, acrylique, pigments en grava, huile de mauvaise qualité, huile d’excellente qualité, polyuréthane, peinture pour signalétique et spray émaillé, décapant, encre lithographique. J’aime les réactions chimiques contradictoires. J’aime qu’une matière en repousse une autre.

A.S. Parle-nous de ta manière de travailler avec ces matières.
O.R.W. C’est l’absence de rituel qui me guide. Les formes auxquelles je pourrais trop m’attacher, qui pourraient me convaincre, que je pourrais reconnaitre ne font pas long feu. Je traverse la trop grande et trop blanche toile, et puis ça germe. Je me sers de toutes les confusions des matières, leurs défauts, leurs hésitations, leurs résistances. Je les cultive, les ajuste, les fait dialoguer, disparaitre sous une nouvelle peau, couche, une brillance diffuse. Je pense au corps et je l’oublie. Ce fragment de quelque chose, de ce quelqu’un dont on se souvient. L’espace devient plausible mais toujours impensable.

A.S. En effet, bien que tu veuilles que la peinture soit le maître de cette « morphogenèse », comme tu l’appelles, on te sent derrière elle. Cet exercice spirituel dont je parlais tout à l’heure - au cours duquel se mêlent discipline et lâcher-prise, maîtrise de la main et abandon à la peinture ainsi qu’aux émotions - te permet finalement de créer un échange privilégié avec elle.

O.R.W. La toile est un miroir, un lit, une table, un mur. C’est un plan, le dialogue est permanent, les états d’âmes s’y succèdent, rien n’est inacceptable. Une peinture peut contenir quinze révolutions, des centimètres de matière, mais à un moment elle est finie.

A.S. Vous avez également tous deux en commun de baptiser vos oeuvres par l’adjonction d’un titre. Cette pratique, somme toute très commune, m’a tout de même interpellée vous concernant. Toi, Olympe, tu revendiques une peinture qui rejette l’anecdote, qui a une existence propre et qui doit donc se suffire à elle même. Pourtant tu lui adjoins des titres qui l’ancrent dans une autre réalité, celle de ton monde intérieur, alors que tu aurais pu choisir des titres autoréférentiels qui font dire à l’oeu- vre seulement ce qu’elle est. Peux-tu nous éclairer sur ce point ?

O.R.W. Mon monde intérieur est matérialisé par la seule peinture que je donne à voir. Les titres arrivent après, quand l’oeuvre est bien finie, quand je dois l’archiver, quand elle doit me quitter. Les titres sont des indications, des réminiscences. Ils rendent hommage aux formes qui m’ont guidée, qui ont parfois disparu ou qui se sont affirmées. Les mots sèment le doute, ils restent à côté, ils sont accolés aux choses.

A.S. Ces mots, qui lient ta création à ton monde intérieur, tu dis qu’ils te viennent lorsque vos deux corps se séparent. Peut-être sont-ils alors une manière de marquer la fin de cette interaction tout en gardant un lien avec ce corps pictural auquel tu as donné vie, pour contrer cette appréhension du néant qui transparaît lorsque l’on parle avec toi ?

O.R.W. Je ne crois pas avoir l’angoisse du néant, je ne me méfie que du propos. Mais titrer est une manière de jouer le jeu du vivant. De donner quelque chose.

A.S. Avec tes peintures, Olympe, le visiteur vivra une expérience d’un autre ordre. Comment as-tu pensé cet ensemble que tu lui soumets ?

O.R.W. J’ai choisi d’introduire l’exposition par une peinture que j’ai réalisée en 2015, intitulée La Tête. Même si elle semble en rupture avec les autres peintures exposées, elle les contient toutes. Cette masse noire est un paysage cérébral, un magma sans début ni fin, comme un supplice. Frontal, il ob- strue la couleur. Les plis d’un cerveau obscurci. Les griffes du métal l’ouvrent, la masse mémoire explose.

Extase.

 

Exhibition “ Quentin Euverte / Olympe Racana-Weiler - 3’n the mornin’ / Noire était mon ombre (Black is my shadow) ” Michel Journiac Gallery, Saint-Charles Centre – Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Paris. Curator : Jérôme Pauchant.

Anastasia Simoniello: I’d like to begin this interview by looking at the origin of your works. When I talk to you, Olympe, I have the feeling that you experience creativity like a form of asceticism, a spiritual exercise that tends towards an artistic ideal, one that allows the pictorial medium to take shape, existing and expressing itself through you, insofar as you exist and express yourself through it.

Olympe Racana-Weiler That’s right, painting contains the inexpressible and the absurd. It isn’t disconnected. In my contact with the medium, memories, representation, identity, taste all combine, without ever being the actual subject. Painting is my transformative space. The pictorial process unveils what you carry within your self. The act of painting connects me with the world. My work consists of giving it form.

A.S. You told me that you only achieved that after a long period of reflection punctuated by revelations and renunciations.

O.R.W. This form of ethics of painting has definitely taken a while to mature. Understanding the particular features of the paint requires a separation from the narrative, from the idea of self.

A.S. But in the end, your canvas succeeds in becoming a place of incarnation for the pictorial body.

O.R.W. Yes. I want to give visibility to the elusiveness of the motionless matter that inhabits me. Producing an inconceivable space, in constant germination. The eye will always be drawn in. But nothing allows itself to be seen, grasped, thought, critiqued. An impossible outcome in this unresolved state. So, time opens up.

A.S. Olympe, what media do you use in your work?

O.R.W. There are all sorts: iridescent ink, acrylic, gravelled pigments, low quality oils, high quality oils, polyurethane, signage paint and enamel spray paint, stripper, lithographic ink. I like contradictory chemical reactions. I like it when one medium repels another.

A.S. Talk to us about the way you work with these materials.

O.R.W. It’s the absence of convention that guides me. The forms I could attach myself to too much, those that could convince me, that I could recognise, they don’t last long. I traverse a canvas that’s too big and too white, and then it takes seed. I use all the chaos of materials, their shortcomings, their hesitations, their resistance. I cultivate them, adjust them, make them talk to each other, disappear beneath a new skin, layer, a brightness unfolds. I think of the body and I forget it. This fragment of something, of someone you remember. Space becomes plausible but always inconceivable.

A.S. Yes, although you may want the paint to be the master of this “morphogenesis” as you call it, I can still feel you behind it. It’s that spiritual exercise I was just talking about – where you combine discipline and letting go, mastery of the hand and abandonment to the paint, as well as emotions – it finally allows you to create a special dialogue with it.

O.R.W. The canvas is a mirror, a bed, a table, a wall. It’s a framework, the dialogue is continual, the moods come one after the other, nothing is acceptable. A painting can undergo fifteen revolutions, centimetres of materials, but at a certain point, it’s complete.

A.S. You also have something in common: you name your works by adding a title. On the whole, this practice is very common, but it did strike me in relation to you both. Olympe, you advocate paintings that reject the narrative, which have an existence of their own, and which therefore are enough in themselves. However, you assign them titles, anchoring them in another reality, that of your interior world, while you could have chosen self-referential titles that say just what the work is. Can you shed light on this point?

O.R.W. My interior world is materialised by the single painting I allow to be seen. The titles come after, when the work is completely finished, when I have to archive it, when it has to leave me. The titles are signs, recollections. They pay homage to the forms that have guided me, that have sometimes disappeared or asserted themselves. Words sow doubt, they remain to one side, they are appendages.

A.S. These words that link your creativity to your interior world, you say they come to you when your two bodies separate. So, maybe they’re a way of marking the end of this interaction, while retaining a link between this pictorial body that you’ve given life to, to counter this apprehension for nothingness that you reveal when I speak to you?

O.R.W. I don’t think I have anxiety about nothingness, I am just wary of words. But conferring a title is a way of playing the game of the living. Of giving something.

A.S. With your paintings, Olympe, viewers will have an experience of a different kind. How did you envisage introducing them to your collection.

O.R.W. I chose to introduce the exhibition with a painting I did in 2015 entitled The Head. It may seem apart from the other paintings in the exhibition, but it actually contains all of them. This dark mass is a cerebral landscape, a magma with neither start nor finish, like an affliction. Head-on, it obstructs colour. The folds of a confounded brain. The claws of metal open it up, the mass of memory explodes.

 Ecstasy.

Olympe Racana-Weiler

Figures

Interview par Richard Leydier

Paris, février 2023.

Publié dans le catalogue de l'exposition " JOURNAL ", Fondation GGL, Hôtel Richier de Belleval, Montpellier. Commissariat: Richard Leydier. Édition Lord Byron.

Richard Leydier Pourquoi ce titre, Journal ?

Olympe Racana-Weiler Lorsque j’ai réalisé le Chant de la Sibylle, œuvre pérenne au premier étage de l’Hôtel Richer de Belleval, j’ai réouvert le champ de la figure. Au fusain sur papier blanc, j’ai réalisé en trois jours un ensemble de cinquante-deux visages dans un cahier, dessins que j’ai ensuite dégrafés pour les disposer sur les murs de mon atelier. Avec un désir de représenter, mais sans image à l’appui, ils sont arrivés, ou revenus par ma main. Ils me disaient quelque chose ou quelqu’un, ils étaient sur le point de dire. Ils me sont apparus comme le versant de la pièce de l’Hôtel, son écho, ses spectateurs ou habitants. Il y a quelques années, j’avais arrêté d’aborder la figure a un moment clé, un deuil, une mémoire trop brutale à quitter alors. J’ai parcouru certaines parties du monde avec une caméra, un appareil photo. Je voulais capter, voir et vivre. La peinture est revenue en une forme de jubilation, délivrée de moi-même, de l’aspect personnel de l’image pour finalement laisser place à une intime relation à la couleur, à la matière, à l’orientation du hasard, je voulais l’aider un peu pour mettre en doute ce qui s’y raconte. Je suis attachée à cette histoire de Sibylle. Je me suis rendue à Cumes, en Italie, il y a une dizaine d’années. Le lac des Enfers, le temple d’Apollon et l’Antre de la Sybille sont bien là, en réseaux, on les remplit de ce que l’on veut et on pourrait parler du mythe mais pour moi il ne s’agit finalement pas tant d’une créature mais d’une vie.

Le journal se place entre les faits et la vérité, et ces peintures n’ont rien d’une prophétie. C’est une volonté, un désir d’organiser un espace, de livrer ce monde au monde, de faire de ce désir un élément réel indéniable. Cette source de plaisir, de paix, d’exil, se confronte aujourd’hui au visage, au corps dessiné. Ce visage fait autorité. Il s’agit d’un dialogue avec ce corps porté à jamais, la mémoire de l’autre et un espace mental monde. Et on passe de l’un à l’autre sans arrêt.

C’est un journal de travail, nourri de fréquences visuelles diverses.

Richard Leydier Est-ce que ta biographie, je songe à une Amérique du sud tropicale, influe sur ta peinture ?

Olympe Racana-Weiler En Amérique latine, centrale et dans les Caraïbes j’ai recherché des traces, les vestiges d’une humanité première, du passage d’un état nomade au sédentaire fasciné par des agencement de pierres, montées en villages, en temples. J’ai parcouru les montagnes de la Cordillère des Andes, sur les traces de la civilisation inca et pré-inca du nord-ouest de l’Argentine ; je suis allée au Mexique dans le Chiapas, à la frontière guatémaltèque ; à Cuba, sur les traces des indiens Taïnos, dans le sud-est de l’île.

Ce qui m’a intéressée dans ces grandes traversées, c’est la marche, la perte de référents, d’image de soi-même, de miroir. Dans ces lieux choisis, hors des villes, on ne parle pas toujours espagnol mais des dialectes survivants ; des résistances s’établissent, des systèmes communautaires autogérés aussi, certains rites se perpétuent, prennent parfois des formes hybrides, des syncrétismes aux représentations étonnantes. Sans la langue, par la présence, le mimétisme des gestes, j’ai appris à regarder ces formes, à oublier les miennes. La jungle est un exemple qui produit cet effet, on oublie son corps pour être dans un métabolisme plus grand, on est aux aguets, les perceptions, les sens sont décuplés, on s’appuie sur cette attention.

Les rites m’intéressent, ils regroupent, réunissent les êtres qui chantent ensemble un ragga de prières et dansent, costumés et s’épanouissent en espaces poétiques. Dans cette dramaturgie-là, je pouvais entrer, m’oublier, m’incarner, apprendre. La peinture c’est peut-être ça, cet espace-temps dans lequel on peut là aussi entrer et sortir, mais qui persiste à côté du corps en hétérotopie. Je rentre dans le travail, me séparant du personnel pour dévoiler ce lien intime à la matière qui se fait chair, moiteur. Une couleur crie soudain, se révèle, les rapports s’inversent, le sujet oscille. Comme dans la jungle, la couleur s’incarne, le tunnel ou labyrinthe de choses, d’objets reconnus est d’un coup rompu en une présence manifeste, insoupçonnable.

R.L. On pense aussi à des paysages sous-marins. Bref, ta peinture suscite le vagabondage de l’imagination.

O.R.W. J’ai jusqu’à présent vécu devant l’eau de la Seine que j’ai regardée beaucoup jusqu’à oublier tout cela. La peinture est malléable, mouvante. Je la fais souvent circuler au sol. Je recouvre le passé de la toile par le geste de résine. Les premiers marquages acryliques ressurgissent en surface, en volume. La résine est brillante, elle réverbère la lumière extérieure, elle est ponctuée de pigments en gravats. C’est comme ça que je fais naître l’espace, le champ, le terreau que je développe ensuite au mur, à la peinture à l’huile. De ce substrat émergent des fentes, des lianes, des réseaux, des dents, des masses, des paupières, une parole. Ces formes-là s’organisent depuis peu en gestes non-étirés ou tracés mais plutôt séquencés, les interventions se succèdent et se font masse, objet couleur.

La sensation océanique que tu évoques est peut-être liée à cette immersion dans un tableau sans autre référent que la peinture elle-même. Je crois qu’en plongée, on entend son seul souffle, c’est un « avec soi », avec son rythme cardiaque, ses aléas, ses palpitations. On perd parole. On progresse sous le voilage et sans gravité des corps, pour voir, pour parcourir l’obscurité, les percées de lumière extérieure, à la croisée de notre imaginaire, aux ombres des silhouettes gigantesques du gros poisson, du monstre, au ravissement de certaines couleurs qui persistent étonnement là, de formes inouïes.

 R.L. Pourquoi cette référence à la Sibylle ?

O.R.W. La question est plutôt de perdre le référent, de perdre la citation pour tenter d’être au monde. 

Se séparer du personnel, pour tisser un rapport intime et spécifique à la peinture. La dépouiller de ses signes reconnaissables et se trouver dans une construction quasi archaïque du langage de formes, pour évoquer, questionner le regardeur sur cet autre temps possible, celui du faire, du rythme de la main, du rêve, de l’inconscient, du pré-natal qui réunit peur, angoisse, bien être. Il y a si peu d’espaces où cela est possible. 

À côté de ce monde abstrait, je livre des dessins, assez bruts, tendus, directs, et des gravures. Les Visages, mon visage, celui des regardeurs, de ceux que j’ai vus ou qui m’ont vue et peut-être simplement ceux que je quitte quand je peins ces formules abstraites. 

L’histoire de la Sybille de Cumes et de son antre m’intéresse au regard de cela, le Chant de la Sybille Occitane aussi. C’est le titre de la pièce permanente réalisée pour l’Hôtel Richer de Belleval et la Fondation. Face à cette histoire passionnante de prophétesse qui a traversé des siècles et des siècles, symbole antique (l’Énéide, les tables des Lois de Rome, de l’Église, représentées dans La Chapelle Sixtine et sur les sols de la cathédrale de Sienne par exemple), la Sybille reste une métaphore de l’algorithme (voir Waiting for the Sybille de William Kentridge). 

Les analogies existent entre peinture abstraite et le langage sibyllin, celui de l’oracle fait de murmures incompréhensibles, de sons, de rythmes, une idée de transe. L’histoire parle souvent des origines de l’abstraction comme étant détenues au tout début du 20e siècle par des femmes aux pratiques ésotériques, mystiques, je pense par exemple à Hilma Af Klint et son lien à la théosophie. Le psychanalyste Jacques Lacan disait de la femme, : « Elle est le Silence ou le Mysticisme. » Le mystère réside.

Je me rappelle un spectateur me disant un jour : « Ça n’a pas l’air d’une peinture de femme. » Ah bon ! Mais qu’est-ce que cela veut dire ? 

L’ésotérisme est un monde qui ne porte pas encore de nom, il baigne dans l’obscurité. Nous venons de ce ventre, où les choses du réel étaient à peine perceptibles sous nos paupières, où les mots qui se racontaient à l’extérieur n’étaient que des sons ou vacarmes. Les parois de ce monde étaient mouvantes et comme sur le lin du châssis nous disions je suis. Je suis là et je sors. Je suis là par la trace, la marque d’une couleur. La question de la prophétesse, de la sorcière, qui qualifie trop souvent le monde féminin, encore obscurci, parallèle, dissocié en victime doit s’arrêter là. Plus de mysticisme mais bien de la peinture de la matière, réelle.

J’emmène avec moi dans l’exposition, face à cette solitude un groupe de travaux réalisés dans les ateliers d’imprimeurs. Des artisans formidables qui m’aident, m’apprennent par leur savoir-faire et donnent une autre dimension à l’œuvre, à ma recherche. Ils détiennent les secrets d’une culture qu’ils activent, ils sont trésors de la nation et je leur suis reconnaissante de me recevoir. C’est un lien au monde, à leur génie.

 R.L. Dans quelle mesure tes gravures sont-elles liées à tes tableaux ?

O.R.W. Les gravures correspondent au premier geste de peinture, normalement recouvert par les étapes du processus. Quand je fais une matrice sur bois, je travaille en noir et blanc, avec très souvent de l’encre de Chine et de l’acrylique. Parfois du fusain et de l’encre. Je construis un espace, et quand j’estime qu’il me regarde, que certains points surgissent et tiennent la composition, je m’arrête et je grave pendant des heures et des heures les sillons de la brosse, le velouté du fusain ou le nuage diffus du spray. Je trouve des solutions graphiques pour retranscrire les différentes aspérités, densités de matière, les transparences, les demi tons, je cerne les brillances. C’est un damier binaire, de vides, de pleins. Ce que j’ai gravé disparaîtra mais il restera parfois des bruits, des traces de l’outils que j’utilise. Le plein sera visible, ancré et imprimé, je veux donc qu’il raconte le plus de choses possibles de ce que je perçois du dessin, geste initial, et le bois est aussi une donnée, il a son propre dessein, ses résistances. La matrice est issue de ce rapport, support existant, vivant, le geste de peinture, et l’outil de retranscription.

C’est une démarche de conservation du premier geste, de sa vigueur, une manière aussi d’étudier la peinture de très près. Quand je grave, je suis dans mon atelier au cœur des couleurs et des peintures qui m’attendent, qui attendent une réaction, une réponse mais je me concentre méticuleusement sur le geste de gravure, qui est un mouvement assez contradictoire, un autre temps, à la fois hors et au cœur du phénomène pictural.

Une fois les matrices réalisées, je les transmets aux imprimeurs avec lesquels je travaille. En Autriche chez Gabi Pechmann et Christoph Chavanne qui ont une presse monumentale, à New-York à la Line Press chez Ruth Lingen et Nina Dine où je réalise un livre d’artiste, dans l’atelier parisien de René Tazé, auprès des taille-doucières Domitille Araï et Bérangère Lipreau où je travaille le cuivre, et depuis novembre à Milan au Gate 44 chez Glen Lasio et Nicolas Muratore avec lesquels je peux mélanger plusieurs techniques. Les gravures présentées à l’exposition sont issues de notre collaboration récente. Elles combinent parfois le bois gravé, la sérigraphie, le carborundum et des reprises à la pierre noire. En fonction des ateliers, de l’environnement trouvé, les projets diffèrent, je reste en général une semaine. J’aime ces ateliers, ces êtres, les interactions autour de l’œuvre sont riches, leur savoir-faire et leur regard me nourrissent, ils renouvellent mon champ d’action. Je les pousse, ils me poussent, ils m’arrêtent aussi et c’est très bien.

 R.L. Dans les gravures, une manière de visage apparaît. D’où vient-il concrètement ?

O.R.W. Deux choses. J’étais dans mon atelier pendant la période de confinement. J’y ai travaillé beaucoup, et une succession de choses ont eu lieu par la peinture et le contexte. Je lisais des textes autour du Visage, écrits par Emmanuel Levinas, Giorgio Agamben, Hans Belting, bref tout cela m’intéressait beaucoup et ce visage me manquait bien sûr. Le texte du critique d’art américain Dave Hickey à propos de l’œuvre de Joan Mitchell dans son catalogue Sunflowers (éd. Steidl) m’interrogeait plus directement encore. Il parlait de son œuvre comme étant laïc, je l’entendais comme au cœur même du phénomène nature, retranscrivant directement ce tout, sans retour critique, sans empirisme, par la seule épreuve de peindre, dépouillé des détails de l’évocation de l’être.

Un peu coupée du monde, comme nous tous à ce moment-là, coupée de la nature, de l’autre, j’avais, par chance et grâce à Philippe Marin, quelques châssis avec moi. J’ai d’abord travaillé autour d’un format de 250 cm x 150 cm, les limites de mon corps les bras levés, une grande verticale ascensionnelle. Le visage s’y est soudain incarné. Puis tout à coup, je n’avais plus de couleur, ni de résine pour poursuivre le projet, les toiles montaient alors à l’acrylique, à l’encre noire et au mortier de structure, sortes de monolithes ou de figures de pierres.

Quand cette période de confinement a pris fin, les portes se sont ouvertes à nouveau, le regard de l’autre, le spectateur sont revenus et une nouvelle manière est arrivée. J’ai repris mes projets de gravures, en choisissant des bois au format initial 250cm x 150 cm. Une forme ovale s’y est imposée, formant un grand portrait. En y additionnant les matrices, les unes les autres pour construire l’image, la nécessité du masque du regard et de la verticale du nez m’a permis de stabiliser l’œil du regardeur dans le format ascensionnel.

À la même période, j’ai entamé un projet de livre d’artiste, dans lequel convergent gravures et un fac-similé intitulé « L’amour », une partie du séminaire de Jacques Lacan « Les non-dupes errent ». Dans ce texte, il aborde les rapports des trois dimensions du langage, le symbolique, le réel et l’imaginaire, et moi par-dessus, en obstruant le texte ou par transparence sur les différentes qualités de papier, je réagis en imprimant des bois gravés formant des nœuds de peinture, des portraits et parfois des corps, des mains dans cette intimité du livre. Le visage est revenu et se laisse voir puis il est immergé de nouveau. Le flot de texte se laisse lire, puis s’interrompt encore.

R.L. Tu viens de réaliser ta première sculpture. Un grand bronze. C’est un nouvel épisode qui est initié.

O.R.W. Oui, suivant de près ma route et mon goût pour la sculpture, un couple d’amis collectionneurs m’a proposé de réaliser une pièce pour leur maison.  En pensant le lieu, en spatialisant mon intention, j’ai dessiné ce corps presque lévitant, sur le seuil de l’envol. Par la suite, je l’ai réalisé en plâtre, en gravats, en bois, en branches, cire et silicone. J’ai travaillé alors à toutes les étapes de sa réalisation dans la fonderie Kunstgiesserei de St Gall en Suisse. Bien d’autres choses auraient pu advenir, des éléments plus fragmentaires par exemple en résonnance avec mes peintures. Mais c’est un corps qui s’est manifesté. Cette sculpture est la première de tout un monde qui redéfinit mon rapport à la forme.

Published in the catalogue of the exhibition “ JOURNAL ”, Foundation GGL, Hotel Richier de Belleval, Montpellier. Curator: Richard Leydier. Edition Lord Byron.

Richard Leydier Why this title, Journal ?

Olympe Racana-Weiler When I created the Song of the Sibyl, a permanent work on the second floor of the Richer de Belleval Hotel, I reopened the field of the figure. In charcoal on white paper, over three days, I made a set of fifty-two faces in a notebook. I then took the drawings out and arranged them on the walls of my studio. With a desire to represent, but without an image at hand, they arrived, or came back through my hand. They were telling me about something or someone. They were just about to speak. They appeared to me as another side of the piece at the Hotel, its echo, its spectators, or residents. Several years ago, I stopped approaching figure at a key moment, one of grief, a memory too brutal to be left behind. I traveled through several parts of the world with a camera, a film camera. I wanted to capture things, to see and to live. Painting came back in a form of jubilation, free of myself, from the personal aspect of the image, to finally make space for an intimate relationship with color, matter, with the leanings of chance. I wanted to help it a bit to question what is said about it . I got attached to this Sybil story. I went to Cumae, in Italy, about twelve years ago. The lake that the Romans considered to be the entrance to Hades is there, as well as the temple of Apollo, and the Sibyl’s cave, all in a network. They can be filled with whatever you want, and you could talk about myth, but for me it was less about a person than a life.

The journal is situated between facts and the truth, and these paintings are in no way prophesies. It is a will, a desire to organize a space, to give this world to the world, to transform a desire into a real, undeniable element. This source of pleasure, peace, exile, is confronted today with the face, the drawn body. This face is authoritative. It is a dialogue with this body carried on forever, the other’s memory, and a mental space world. And we move constantly from one to the other.

It is a work journal, nourished with various visual frequencies.

 R.L. Does your biography, I’m thinking of tropical South America, influence your painting ?

O.R.W. In Latin America, Central America, and the Caribbean, I searched for traces, vestiges of a first humanity, from the movement from a nomadic state to a sedentary one, fascinated by the arrangements of stones, built up into villages, temples. I crossed the Andes mountains, following the footsteps on Incan and pre-Incan civilizations of northwest Argentina. I went to Chiapas in Mexico, on the Guatemalan border, to Cuba, in the footsteps of Taino people in the southeastern part of the Island.

What interested me in this great journey was walking, the loss of bearings, images of the self, of the mirror. In this chosen places, outside cities, Spanish isn’t always spoken, but surviving dialects; resistance movements have been established, self-managed communitarian systems as well, certain rites continue, sometimes taking hybrid forms, syncretism with stunning representations. Without language, by way of presence, the mimicry of gestures, I learned to see these forms and forget my own. The jungle is an example that produces this effect. You forget your own body to be inside of a larger metabolism. You are alert, perceptions and senses intensify; you rely on this form of attention.

The rites interest me. They gather, reunite beings who sing a ragga of prayers together and dance, dressed up, and blossoming in poetic spaces. In that dramaturgy, I could enter, forget myself, incarnate myself, learn. Painting might be this, this space-time that one can go in and out of, but that remains beside the body as a heterotopia. I enter the work, separating myself from the personal to reveal this intimate link with the matter that becomes flesh, dampness. A color cries out suddenly, reveals itself, relations reverse, the subject oscillates. Like in the jungle, color incarnates, the tunnel or the labyrinth of things, of recognized objects is suddenly ruptured in a manifest presence, above suspicion.

R.L. Undersea landscapes also come to mind. In short, your painting makes the imagination wander.

O.R.W. Up until now, I have lived by the water of the Seine, and I’ve looked a lot, enough to forget all that. The painting is malleable, moving. I often move it around on the ground. I cover the past of the painting through the action of the resin. The first acrylic markings come up to the surface again, in volume. The resin is shiny, it reflects external light, it is punctuated with pigments in rubble. That is how I cause space to be born, the field, the fertile ground that I then develop on the wall with oil painting. From this substrate emerge cracks, vines, networks, teeth, masses, eyelids, a word. Those forms have recently become organized into not so much stretched or traced gestures as sequenced ones, the interventions follow one another and gather mass, color object.

The oceanic feeling that you evoke might be connected to that immersion in a painting without any other referent than the painting itself. I think that while diving, you only hear your own breath, its a "with yourself", with your heartbeat, its slight variations, its palpitations. You lose speech. You progress under the veiling and with the weight of bodies, to see, to cross the darkness, the slight glimmerings of external light, the crossing of our imagination, to the shadows of giant silhouettes of the big fish, the monster, the rapture of certain colors that amazingly persist there, unprecedented forms.

R.L. Why this reference to the Sibyl ?

O.R.W. The question is actually of losing the referent, to lose the citation to try to be in the world.

Separating from the personal, to weave an intimate and specific relationship with painting. To strip it from its recognizable signs and enter a quasi-archaic construction of the language of forms, to evoke, to question the beholder about this other possible time, the time of doing, the rhythm of the hand, the dream, the unconscious, the prenatal that combines fear, anxiety, and well-being. There are so few spaces where that is possible.

Beside this abstract world, I undertake drawings, rather rough, tense, direct, and engravings. The Faces, my face, those of beholders, those that I’ve seen or that have seen me and maybe simply those that I leave behind when I paint these abstract formulae.

The history of the Sybil at Cumae and her cave interesses me in light of that, The Occitan Song of the Sybil too. It’s the title of a permanent piece created for the Richer de Belleval Hotel and the Foundation. Faced with this enthralling story about a prophetess who has crossed many centuries, an ancient symbol (the Aeneid, the Laws of the Twelve Tables of Rome, the Church, represented in the Sistine chapel and on the walls of the Cathedral of Sienna, for example), the Sybil remains a metaphor for the algorithm (see William Kentridge’s Waiting for the Sybil).

Analogies exist between abstract painting and the sibylline language, that of the oracle who makes incomprehensible murmurs, sounds rhythms, an idea of trance. History often speaks of the origins of abstraction as being held at the beginning of the 20th century by women with esoteric, mystical practices, I am thinking of Hilma Af Klint and her link with theosophy. The psychoanalyst Jacques Lacan said of the woman: "She is Silence or Mysticism." The mystery still holds.

I remember a spectator saying to me one day, "That doesn’t look like a woman’s painting."

Oh really? What exactly does that mean ?

Esoterism is a world that does not yet bear a name, it bathes in obscurity. We come from this stomach, where the things of the real were barely perceptible beneath our eyelids, where words that were spoken on the outside were only sounds or noises. The walls of this world were moving and like linen on the frame we said I am. I am there and I am coming out. I am there by the trace, the mark of a color. The question of the prophetess, of the witch, that too often characterizes the feminine world, still shadowy, parallel, dissociated as a victim must stop there. No more mysticism, but plenty of painting of matter, real matter. I bring with me in this exhibition, facing that solitude a group of works created in printers’ workshops. Amazing artisans who help me, teach me with their know-how and give another dimension to the work, to my search. They hold the secrets of a culture that they activate, they are treasures of the nation, and I am thankful that they let me in. It is a link to the world, to their genius.

R.L. To what extend are your engravings tied to your paintings?

O.R.W. The engravings correspond to the first action of painting, normal covered up by the steps in the process. When I make a wooden printing block, I work in black and white, often with India ink and acrylic. Sometimes with charcoal and ink. I construct a space, and when I sense that it’s looking back at me, that certain points rise up and hold the composition, I stop there and I engrave for hours and hours the grooves of the brush, the velvet of the charcoal, and the diffuse cloud of spray. I find graphic solutions to transcribe the various jags, densities of material, transparencies, halftones, I zero in on shining things. A final binary, of emptiness and fullness. What I engraved will disappear but sometimes noises, traces of the tools I use will remain. The full will be visible, anchored and printed. So I want to evoke as many things as possible that I perceive in the drawing, the initial motion, the wood is also a given, living, and the movement of painting, and the tool of retranscription.

 It’s an approach to preserve the first gesture, its vigor, also a way of studying the painting very closely. When I engrave, I’m in my workshop at the heart of the colors and paintings that are waiting for me, that are waiting for a reaction, a response, but I concentrate meticulously on the motion of engraving, which is a rather contradictory movement, another time, at the same time outside of and at the heart of the pictural phenomenon.

Once the blocks have been created, I transmit them to the printers that I work with. In Austria with Gabi Pechmann and Christoph Chavanne who have a monumental press, in New York at Line Press with Ruth Lingen and Nina Dine where I am working on an artist’s book, in the Parisian workshop of René Tazé, with the copperplate engravers Domitille Araï and Bérangère Lipreau where I work on copper, and since November in Milan at Gate 44 with Glen Lasio and Nicolas Muratore with whom I can mix several techniques. The engravings at the exhibition came out of our recent collaboration. They sometimes combine woodcuts, silkscreen, carborundum, and touch-ups with black stone. Depending on the workshops, the environment I find, the different projects, I usually stay for a week. I like these workshops, these beings, interactions are the work are rich, their expertise and their perspectives nourish me, they renew my field of action. I push them, they push me, they also stop me and it’s a very good thing.

R.L. In the engravings, a kind of face appears. Where does it come from concretely?

O.R.W. Two things. I was in my workshop during the lockdown. I worked there a lot, and a series of things took place through the painting and the context. I read texts about the Face, written by Emmanuel Levinas, Giorgio Agamben, Hans Belting, in short, all of that interested me a lot and I missed this face a lot, of course. The text by the American art critic Dave Hickey about the work of Joan Mitchell in her catalogue Sunflowers (ed. Steidl) made me reflect even more directly. He talked about her work in a secular way, and I understood it as if it were at the very heart of the phenomenon of nature, directly retranscribing this whole, without critical reversal, without empiricism, by the sole proof of painting, stripped of the details of the evocation of being.

A bit cut off from the world, as we all were at that time, cut off from nature, from the other, I had, by chance and thanks to Philippe Marin, several frames with me. I first worked around a 250 cm x 150 cm format, the limits of my body with the arms outstretched, a high upward vertical. The face incarnated there suddenly. Then right away, I had no more color, no more resin to pursue the project, canvases with acrylic came together, in black ink and structured like mortar, sort of monoliths or figures with stones. When that period of lockdown came o an end, the doors opened again, the gaze of the other, the spectator came back, and a new way of working came about. I started working on my engraving projects again, choosing wood in the initial 250 cm x 150 cm format. An oval form imposed itself, forming a large portrait. By adding on the blocks[BH7] , one after the other to construct the image, the necessity of masking the gaze and the vertical of the name allowed me to stabilize the eye of the beholder in the upward format.

In the same period, I started an artist’s book project, in which there is a convergence of engravings and a fac-simile called "L’amour," a part of Jacques Lacan’s seminar, "Les non-dupes errent." In this text, he studies the relationship between the three dimensions of language, the symbolic, the real, and the imaginary, and me, overlaying it, blocking the text either by transparency on the different qualities of paper, I react by printing woodblocks that form knots of painting, portraits, and sometimes bodies, hands in the intimacy of the book. The face comes back and lets itself be seen then is immersed again. The stream of text allows itself to be read then pauses again.

R.L. You have just created your first sculpture. A big bronze one. A new episode has begun.

O.R.W.Yes, closely following my path and my taste for sculpture, a couple collector friends invited me to create a piece for their house. Thinking about the location, and spatializing my intention, I drew this almost levitating body, on the edge of flight. Next, I made it out of plaster, rubble, wood, branches, wax, and silicon. I was working on all the steps of its creation at the foundry Kunstgiesserei de St Gall in Switzerland. Many other things could have happened, more fragmentary elements in resonance with my painting. But a body is what made itself manifest. This sculpture is the first of a whole world that is redefining my relationship to form.